95 - Sans mémoire, quel présent?
Mardi 30 janvier 2007

Ou les effets de l’absence de mémoire sur le monde contemporain
Le billet précédent ayant mis en lumière l’inégalité des efforts de mémoire selon les communautés historiquement victimes, et, disons le, les communautés historiquement coupables, il semble utile d’en constater le résultat sur le monde d’aujourd’hui. Les effets sur deux populations distinctes sont pourtant significatifs.
Commençons par la population dite «de souche», autrement dit les héritiers d’un monde ayant développé une idéologie impérialiste qui se révèle aujourd’hui fortement culpabilisante. Cette population fait preuve d’une profonde méconnaissance des faits historiques relatifs aux faits coloniaux et esclavagistes. Cette méconnaissance s’accompagne d’un rejet à l’évocation du sujet fortement frustrant pour d’évidentes raisons. Cette méconnaissance permet aussi des dérives allant jusqu’au déni, facilement acceptable dans un contexte flou sans bases historiques légitimées par la collectivité et ses institutions, par une communication de masse et appuyées par des experts indiscutables.
N’oublions pas non plus les vieux démons racistes encore bien présents dans les esprits qui rendent encore plus insupportable l’évocation de faits humanisant des peuples que l’on préfère regarder comme naturellement sacrifiés. L’Afrique, réservoir malheureux de ces peuples, est entachée d’une image négative associant incompétence, pauvreté, corruption et fatalisme. L’histoire peut se répéter sous de nouvelles formes sans soulever l’indignation de l’opinion publique, la Françafrique peut ainsi pratiquer son néo-colonialisme sans craindre les foudres démocratiques de la majorité du peuple de France.
Mais les temps changent. La population française n’est plus seulement composée du peuple «de souche». Ce qui est non seulement acceptable, mais souhaitable, par les uns, devient insupportable pour les autres. Cette différence de ressenti a bâti de nouvelles frontières sociétales, séparant ce que l’on appelle les communautés. Celles-ci sont d’ailleurs bien plus des communautés de frustrations que des communautés ethniques. Un sentiment d’incompréhension, d’abandon, de mépris, a formé et soudé celles et ceux qui souffrent ensemble de l’amnésie des autres. Et le communautarisme est né. En dehors de ma communauté, je me heurte à l’incompréhension et je souffre. A l’intérieure, les autres partagent ma vision et me réconfortent. Lorsque, en plus de voir ma souffrance niée ou minimisée dans les medias et les discours de masse, je réalise que d’autres bénéficient d’un traitement d’une dignité exemplaire, je les envie, puis je les déteste.
Cette structure en silos qui s’éloignent les uns des autres n’est pas faite pour résoudre quoi que ce soit. Au contraire, elle ne fait que renforcer les stéréotypes et encourager les excès. Aujourd’hui l’extrême droite focalise tous les maux qui nous frappent sur le silo d’en face, qui s’organise en tribu Ka ou en CRAN par réaction.
L’agression répond à l’agression, l’exclusion devient le seul réflexe, chacun voit l’autre comme une menace potentielle. Alors, lorsque des petites voix s’élèvent pour proposer des alternatives plus constructives, elles sont immédiatement taxées d’esprits manipulateurs et calculateurs.
Je le dis et le répète, rien de positif ne peut émerger d’une telle scission. Ce n’est qu’ensemble que nous pouvons réhabiliter légitimement une mémoire nécessaire à tous. Comment? Voyons cela dans un prochain billet.
Titophe
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