11 - Rancune et polémique
Mardi 6 décembre 2005
La rancune est certainement un sentiment compréhensible, je pense néanmoins qu’il ne peut que générer polémique et incompréhension. En effet, il aboutit à une forme de paranoïa ou plutôt peut être ressenti comme tel. Je remercie ici Isabelle pour son billet sur la polémique qui offre un éclairage intéressant sur ce type de relation et de communication.
Je souhaite aujourd’hui livrer un témoignage qui a marqué mon enfance et qui atteste que l’on peut éviter toute rancune sans perdre sa dignité.
Mon grand-père est né en 1917. Orphelin de la 1ere guerre mondiale, il n’a jamais connu son père. Agricultrice, sa mère (donc mon arrière-grand-mère) a tenu à ce qu’il aille à l’école le plus longtemps possible. Il est donc allé au Lycée et a même appris des langues étrangères, dont l’allemand. Néanmoins, pour des raisons économiques évidentes, il n’a pu poursuivre d’études supérieures et a donc du reprendre la petite exploitation familiale assez jeune.En 1939, il était déjà marié et ma grand-mère était enceinte de mon père lorsqu’il est parti à la guerre.
Il a été fait prisonnier très rapidement. Plutôt hardi, il a fait plusieurs tentatives d’évasion dont certaines ont été couronnées de succès pour ceux qui l’accompagnaient. Lui n’a pas eu cette chance est s’est retrouvé en camp disciplinaire au bout de peu de temps. Il a du de rester en vie au fait qu’il parlait allemand et était utilisé comme traducteur. Il a subi de nombreux sévices, dont plusieurs épisodes de tortures qui ont très fortement affecté sa santé. Il en est mort à 61 ans en 1978.
Ceci dit, il a connu mon père (son fils) en 1945 à son retour de captivité. Il y avait-la de quoi réunir un certain nombre de rancunes…
En arrivant à la ferme familiale, il a trouvé un Allemand. Un ancien officier de la Wehrmacht qui était à son tour prisonnier dans le cadre d’un programme de reconstruction des campagnes françaises. Il était arrivé là en tant que commis fermier et ceci pour une durée de 2 ans.
Mon grand-père l’a non seulement accueilli en frère, mais est devenu son ami. Ils ont tissé des relations fortes car ils étaient tous les deux conscients de leur simple condition humaine. Ils se sont vus jusqu'à sa mort et la relation dure encore entre cet homme, son épouse et le reste de notre famille. Cet ami très cher faisait bien entendu parti de la liste de nos convives lors de notre mariage en 1990.
Lorsque mon grand-père est mort, j’avais 13 ans. Notre relation était très forte et nous passions de longues journées ensemble pendant les vacances scolaires. Il a quelques part transféré les 6 années manquées avec mon père (son fils) sur moi. Il s’est très souvent confié à moi en me relatant à la fois des anecdotes sur cette période et en me donnant son analyse. Cela est resté à jamais gravé dans ma mémoire. Pour l’enfant que j’étais, ce grand-père était un dieu vivant. Aussi étais-je plus que réceptif a ses points de vue et aux valeurs qu’ils véhiculaient.
Avec le recul, je réalise l’immense cadeau qu’il m’a fait. Pour lui, un Allemand était un homme avant tout. Je me souviens très bien du timbre de sa voix prononçant ces mots dans sa bouche : «Tu sais, il y a des cons, des moins cons, et des gens qu'il ne faut pas rater, mais ca ne se devine pas comme ca. Il faut se connaître d’abord.» Le nazisme était un système, mais les hommes restaient des hommes, sans pour autant tous devenir des bouchers et des tortionnaires parce qu’ils appartenaient a une certaine catégorie ethnique, nationale ou politique.
Ceci n’est qu’une anecdote, mais elle montre que l’on peut aller au-delà des rancunes et construire quelque chose de fort lorsque l’on transcende ses préjugés. Derrière la carapace de nos acquis restent les potentiels et la beauté de ce que nous sommes vraiment. A mon tour, j'essaye de transmettre le message à mes filles.
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6 Comments:
Extraordinaire, Titophe! Car l'une des plus grandes leçons que m'ait apporté mon père, après 5 ans de captivité en Allemagne et Tchchoslovaquie, a été de me dire ceci: "Si j'avais été Allemand en 33, qui me dit que je n'aurais pas été enthousiasmé par ce que proposait Hitler pour relever le pays". J'avais une quinzaine d'années, je ne l'oublierai jamais. Evidemment, ensuite, la chandon de Goldman, "Si jétais né.." y a fait écho.
Bonjour Titophe ,
Je partage totalement votre point de vue .
D'ailleurs , un être humain normal peut il penser autrement ?
Je n'en avais pas encore parlé , mais j'ai aussi travaillé en Afrique du nord , au Maroc , en tant qu'enseignant , dans le cadre de la coopération .
Et mes trois premières années de retraite , j'ai fait beaucoup d'alphabétisation , ici , auprès de Tunisiens .
Enfin , mon père a lui aussi été prisonnier en Allemagne , à coté de Munich . Il a gardé un excellent souvenir des Allemands avec qui il vivait .
Mais , dans tous les textes que je lis , il y a une chose qui me gène .
Oui , je partage completement tout ce qui a été écrit sur ce blog , on ne peut en contester un seul mot .
Mais , à mon avis , par ommission ...
Les relations entre humains doivent être basées sur le respect de l'autre .
Cela doit fonctionner dans les deux sens .
Oui , les blancs français ont eu des torts gigantesques (il ne faut pas oublier , en particulier , les siecles d'escavagisme ), oui ,notre génération continue de regarder d'un oeil négatif les français d'origine étrangére , oui les cités sont des ghettos qui sont la honte de la France ...nous pouvons encore allonger cette liste .
Mais , si l'on veut être neutre , juste , il faut également s'adresser aux jeunes qui ont brûlé écoles , gymnases , voitures , aux intégristes qui enlèvent des otages et tuent des civils innocents en Angleterre ou en France.
A eux également , même si je comprends leurs frustrations , même si j'essaie de me mettre à leur place (et j'aurai peut être fait comme eux ) à eux également il faut parler de respect de l'autre , d'écoute de l'autre .
Si nous voulons étre objectif , crédible , ne pas être accusé de parti pris , il faut s'adresser aux deux parties en même temps , que chacun voie ses responsabilités , ses erreurs et que tous ensemble , nous cherchions une solution .
Ce n'est pas en nous accusant , en faisant notre mea culpa ,que nous sortirons du problème , il faut la BONNE VOLONTE de Tous , quelle que soit sa couleur .
Au sujet de mes photos , j'utilise le logiciel de retouche rarement, seulement quand mon appareil photo a fait une image pas assez contrastée ou pour recadrer .
La photo d'aujourd'hui ,n'a pas été retouchée , je m'étais appuyé sur le toit de la voiture pour ne pas trembler , ce qui m'a permis d'utiliser un long temps de pose .
Bonne journée à tous .
PS : en relisant , au sujet de ma dernière photo : elle n'a pas été retouchée , mais je l'ai recadrée .
Je crois que le logiciel de retouche du scanner peut faire des montages , mais je
n'ai jamais essayé .
Il me vient un doute : votre mot de 11h 11 , est il une question ou une réponse ?
Jean,
C'etait une question, bien entendu.
Je vous propose dans mon dernier billet une photo montage (j'enleverai ce billet prochainement) qui manque cruellement de subtilité et de sensibilité. C'est simplement pour vous inspirer... ;-)
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