10 - L’égoïsme dans le racisme
Lundi 5 décembre 2005
Ou est la part d’égoïsme dans le sentiment raciste? Je m’interroge sur ce thème alors qu’encore une fois, une grand-messe postcoloniale a lieu au Mali (le fameux sommet France-Afrique).
Le racisme aujourd’hui est, je le pense sincèrement, un héritage culturel avant tout. Mais il est aussi devenu une crainte, celle d’une petite proportion nantie de l’humanité face à une immense majorité pauvre. Les cibles du racisme (noirs et arables principalement) sont en effet associées aux nations d’où ils sont issus (Afrique et Moyen-Orient) qui sont parmi les plus pauvres du monde. Ainsi, le rejet des individus est-il amplifié par le rejet de la pauvreté, par un mécanisme implacable d’association.
La mondialisation, qui peut d’un certain coté être vue comme une redistribution plus équitable des richesses est plutôt vécue comme une spoliation de nos privilèges. Que l’on ne se méprenne pas, je suis cadre dans une multinationale Américaine qui fait actuellement beaucoup parler d’elle suite aux « délocalisations » sauvages qu’elle entreprend. Je fais donc partie des prochaines victimes du processus et je ne le vis pas mieux que quiconque. Je constate simplement que nous nous sommes habitués à ce statut de privilégiés et que la pauvreté des autres peuples ne nous affecte qu’à la condition qu’elle ne nous impacte pas. Finalement, nous pourrions résumer le processus de délocalisations par le slogan « riches recherchent pauvres désespérément ».
La pauvreté de ces pays est-elle une conséquence de notre histoire esclavagiste et coloniale? Tous ces pays sont en effet des lieus et des peuples que l’Occident a exploités et sur lesquels s’est bâtie notre puissance industrielle et économique, principalement au 19e siècle et au 20e siècle. Reconnaître notre responsabilité historique revient à dire que leur désespoir aujourd’hui est en partie de notre fait. Ce n’est bien entendu pas la seule raison, mais c’est une des principales.
Ainsi, l’immigration économique que nos dirigeants et prétendants veulent combattre ardemment est-elle quelque part une conséquence de notre propre responsabilité historique.
Le racisme s’exprime aussi dans cette logique. Le rejet d’un noir ou d’un arabe lorsque ce dernier souhaite s’élever dans la hiérarchie sociale est aussi le signe que certains souhaitent que «chacun reste a sa place». En caricaturant, on pourrait dire que «les blancs restent riches» et que «les autres restent pauvres». Changer cette logique est encore déstabilisant pour beaucoup. Le noir qui s’élève ne prend-il pas une richesse que je considérais comme mienne de fait?
Isabelle, dans un de ses billets si bien écrits, commente son expérience passée au Cameroun, pays que je connais bien aussi. Elle explique que beaucoup d’expatriés deviennent racistes ou le deviennent encore plus s’ils l’étaient déjà. C’est un reflexe de protection ou « d’égoïsme », car on confronte une pauvreté manifeste à une aisance très voyante. Je me souviens m’être fait la remarque lorsque je vivais là-bas : «Ai-je une tête de porte-monnaie?». J’étais jeune et ne pouvais alors avoir le recul nécessaire pour analyser ma situation. Heureusement pour moi, j’ai échappé au tourbillon ambiant.
En résumé, le racisme est chez nous aussi une forme de rejet empreint d’égoïsme. Beaucoup ont du mal à accepter que noirs et arabes puissent vivre, sinon mieux qu’eux, au moins aussi bien qu’eux. Sortir le racisme de notre quotidien c’est aussi accepter tout le monde dans le petit cercle des nantis. C’est pourquoi je ne me prononce pas sur la fameuse «discrimination positive».
Dernière minute: Je vous engage à lire, voir et écouter ce morceau de hip-hop qui résume avec talent le besoin de changement de nos jeunes concitoyens. Ils me redonnent confiance.
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6 Comments:
Sortir du racisme, Titophe, n'est-ce pas accepter tout le monde, point barre? Je dis cela car il y a aussi des français blancs dans la misère, et certains tout aussi racistes. Si la question du partage des richesses est une vraie question, je ne crois pas qu'elle explique à elle seule le non accueil de l'autre. Si nous étions capable d'aimer l'autre tel qu'il est, alors la question du partage ne se poserait plus, elle serait une évidence. C'est vrai que j'ai tendance à élargir la question du racisme, car je pense que ce non accueil de l'autre n'est pas seulement racial, mais également entre gens de mêmes origines. Non seulement les barrages entre ethnies, mais ici, en France, entre personnes de milieux différents, d'histoires différentes, d'éducation différentes, de physiques différents, ou tout simplement qui vit et pense différemment. La question n'étant pas d'aplanir les différences, qui font notre richesse, mais de les accueillir comme un enrichissement de soi.
Je suis bien d'accord avec vous Isabelle. Entierement.
Ce billet est en fait une reaction au nouveau sommet de la FranceAfrique de ces derniers jours. J'en ai discuté avec mon épouse et nous regrettons que l'opinion publique s'habitue a la pauvreté de l'Afrique au point de la trouver "normale", comme allant dans l'ordre des choses. Ce type d'événement n'a-t-il pas comme conséquence de se donner bonne conscience trop facilement?
Peut-on reellement accepter l'inacceptable? En l'acceptant, ne contribuons-nous pas a la frustration de toute une partie de notre jeune population qui ne trouve plus d'echo dans cette societe? Personnellement, je ne pense pas souffrir du racisme, ni mes proches d'ailleur. Ne croyez pas que je fasse une fixation sur ce sujet en permanence. Mais ce blog lui est consacré afin de transmettre des messages que j'ai l'impression de n'entendre nulle part.
J'ai bien compris, Titophe, et j'apprécie le ton que vous adoptez en règle général, qui n'est ni passif ni agressif. Je suis entièrement d'accord avec vous, nous n'avons pas à accepter l'inacceptable. Peut-être me suis-je mal exprimée. Je voulais simplement dire qu'à mon sens l'inacceptable ne sera pas éradiqué à coups de force, qui sont une réponse du berger à la bergère. cf ce que j'ai écrit sur mon site à propos de la peine de mort. Il est urgent je crois d'ouvrir nos yeux et nos coeurs. A commencer par nous-mêmes, car nul n'est parfait, n'est-ce pas?;-)Je sais, pour ma part, avoir encore du pain sur la planche pour m'ouvrir mieux à l'autre, y compris lorsqu'il m'agresse ou agresse l'un de mes miens, lorsqu'il défend un point de vue qui me hérisse ou me fait mal, etc. J'ai le sentiment profond que la réponse non violente est toujours la meilleure. C'est d'ailleurs ce que j'apprécie sur votre blog:il n'est jamais agressif. Nous pouvons chacun, je crois, être des premiers dominos des changements de paradigme de notre société, à notre échelle. et ça commence par nous-mêmes, me semble-t-il, car il reste toujours une part d'ombre en nous... Mais bon, je ne voudrais pas avoir l'air de prêcher, je suis moi-même encore loin d'avoir atteint ce que je vise...
Votre texte m'a fait reflechir. Moi aussi je me retrouve souvent en minorite, voire le seul blanc la ou je vis.
J'ai accepte comme une regle de survie de juger les groupes et les foules a partir de leurs apparences. En principe c'est moche, et ca me fait reflechir. Pourtant comme dit, c'est une question de survie je n'ai pas le choix (les armes ici sont quasimment en circulation libre).
Je ne crois pas etre vraiment raciste: je juge toujours les individus en isolation, a leurs attributs personnels et a leur substance. Heureusement il me reste encore ce "luxe" intellectuel. Je n'ai jamais desire le pouvoir et d'ailleurs je ne fais pas partie de ceux qui ont du pouvoir sur la vie des autres (je ne suis ni juge, ni patron, ni enseignant, fonctionnaire, etc..). Donc ce qui est sur c'est que je ne peux pas faire de mal meme si je le voulais.
Cependant il est certain que les realites du monde imparfait, rendent les choses floues et compliquees.
Racisme et pauvreté ?
Oui en effet il est plus facile de se sentir supérieur si l’autre est vu comme pauvre donc inférieur. Mais dans ce cas est-ce vraiment du racisme ou plus un complexe de (prétendue) supériorité ?
Les ivoiriens se sentent supérieurs au reste des africains francophones, d’ailleurs je les appelle les « français d’Afrique » tant je pense que les chauvinismes ivoiriens et français se valent. Lorsque j’avais 18/20 ans et que la crise économique frappait la CI, je me rappelle certains ivoiriens prétendaient qu’il fallait renvoyer les burkinabés, les maliens etc. chez eux car, parait-il, ils « volaient » le travail des ivoiriens hors ces immigrés occupaient les jobs que les ivoiriens ne voulaient pas faire (balayeurs, agriculteurs, boys…), je me suis prise des réflexions pour avoir oser défendre les étrangers et me suis faite traiter de fausse ivoirienne car ne défendant pas mon pays.
Finalement la bêtise est la chose la mieux partagée au monde !
Effectivement, l'universalité de la connerie ne fait aucun doute ;-)
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