94 - Juifs et Noirs: 2 problématiques différentes
Jeudi 25 janvier 2007
Apres avoir loué le formidable travail de mémoire sur l’horreur de la Shoah, il convient de se tourner vers un autre drame de l’humanité, le calvaire du peuple noir à travers des siècles d’esclavage et de colonisation. Mais au préalable, je souhaite m’interroger sur ce qui différencie les expériences de ces deux peuples.
Tout d’abord, le peuple juif se caractérise par sa religion. En effet, contrairement aux idées reçues, le judaïsme n’est pas une caractéristique propre à une ethnie, le peuple sémite, mais bien à une communauté spirituelle incluant des sémites, des peuples noirs (d’Ethiopie), et bien d’autres ethnies encore. Il est vrai que les ethnies à peau blanche restent fortement majoritaires. En effet, les sémites étant avant tout les habitants de la bordure méditerranéenne du moyen orient, les palestiniens par exemple sont eux aussi des sémites (sémite ne signifie donc pas juif et antisémite est un abus de langage). De par sa dispersion dans le monde, le peuple juif est donc un peuple multiculturel et très cosmopolite. Parfaitement intégré dans toutes les sociétés ou il était présent, ce peuple a pris une part active au développement de nombreux secteurs économiques et scientifiques, au point d’être représenté dans tous les pôles de leadership. C’est donc une forme de jalousie et de frustration qui a conduit à la haine puis à l’Holocauste.
A contrario, le peuple noir n’a pas d’appartenance spirituelle commune. Toutes les religions sont représentées en Afrique et seule la couleur de la peau est un facteur commun. De plus, les peuples Européens et Africains ne partagent pas une si longue période historique commune (à l’échelle de l’homo-sapiens). Leur rencontre est d’abord le résultat de conquêtes belliqueuses, bien plus que de migrations naturelles. Les lecteurs caribéens, américains, français de métropole seront peut être choqués d’associer peuple noir et Afrique, mais mon propos se projette dans l’histoire, période ou tous leurs ancêtres se trouvaient bien sur ce continent.
Les calvaires du peuple juif au cours des siècles, les persécutions subies jusqu’à l’apogée que représente la Shoah, toutes ces pages sombres sont écrites et enseignées, la transmission de cette mémoire semble donc assurée. L’intégration totale de juifs dans tous les milieux, dont le pouvoir politique dans les démocraties occidentales, fait que toute tendance négationniste ou amnésique est combattue sans équivoque.
Le peuple noir quant à lui traine une mémoire douloureuse dont les pages sont souvent absentes dans les outils de transmission officiels du savoir. De plus, il convient de constater que le leadership mondial aujourd’hui est plus blanc que noir. Aussi ce peuple se trouve-t-il dans une situation bien différente de celle du peuple juif. Son histoire ancienne n’ayant souvent pas bénéficié de traces écrites s’est transmise oralement ou par les arts dits "premiers".
Dans les siècles plus récents, le rapport de domination a créé une histoire biaisée, écrite principalement pas les dominateurs et donc surtout à leur avantage, créant cette image subjective et abaissante qui perdure encore aujourd’hui. Ce peuple souffre ainsi doublement, car à la mémoire des souffrances passées s’ajoute la blessure d’une forme de négation. Ce peuple est aussi le spectateur du travail de mémoire sur la communauté juive et de sa reconnaissance universelle. Ainsi, cette mémoire doit-elle être aujourd’hui non seulement écrite et transmise, mais aussi reconnue au même titre que l’autre. Seule une telle initiative pourrait prévenir les dérives communautaires hallucinantes allant jusqu’à opposer deux peuples au titre d’un traitement inégal de leur mémoire. Les juifs ne sont pas coupables. Seuls les Hommes, quelle que soit leur pseudo communauté, se doivent d’être responsables.
Titophe
A lire: Une compétition malsaine
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18 Comments:
Je vous conseille vivement (si vous ne l'avez déjà lu)"l'Esclavage, la colonisation et après..." de Weil et Dufoix. Ce livre est une étude comparée de la France, des Etats-Unis et du Royaume-Uni qui montre que des traces de l'esclavage et de la colonisation perdurent dans les pratiques, les statuts et les représentations associés dans les sociétés occidentales aux descendants d'esclaves ou de colonisés.
Sinon j'ai beaucoup apprécié votre blog sur lequel je suis tombée complétement par hasard.
Je le trouve parfaitement bien fait étant moi-même le fruit d'une union mixte (mère française et père ivoirien) mais à votre différence je suis née à Abidjan et y suit de retour depuis 5 mois. Et grâce à l'intelligence de mes parents j'ai eu accès à l'histoire des peuples noirs; histoire ô combien importante et riche et que je me dois de transmettre à mes enfants.
Bonne continuation
Isabelle
Bonjour Isabelle, et bienvenue! J'essayerai de me procurer ce livre.
J'espère vous accueillir encore souvent. En tant que métisse, vous serz peut-être sensible à cet ancien billet que j'avais posté l'année dernière.
Je crois effectivement que la souffrance du peuple noir provient de ce mutisme assourdissant du peuple blanc quant à ses erreurs passées.
Et puis, il y a ce que j'appelle (à défaut de mieux) la "mémoire collective" qui véhicule des comportements quasi instinctifs à savoir le blanc qui se comporte en "patron", en "maître", en "supérieur" et le noir qui souffre de cela et l'exprime comme il peut. Cela peut paraître caricatural, ce n'est hélas que le reflet d'une certaine réalité au quotidien...
Je suis moi-même métisse (père franco-grec et mère malgache) et j'ai épousé un antillais dont j'ai 2 enfants. Autant dire que les mélanges, ça me connaît ! ;-) Mais cela me permet aussi d'observer les comportements des uns et des autres vis-à-vis de ces belles différences. Et je puis dire qu'entre les discours et les phrases bien-pensantes de Monsieur Tout le Monde et la réalité des actes et des comportements, il y a vraiment plus qu'un continent !
Chère Brigitte,
la tolérance est le maître-mot dans nos couples.
Je suis mariée à un etats-unien dont le père est mexicain et nous voulons plus que tout transmettre à nos enfants cet esprit de tolérance, de respect du à l'autre et d'ouverture. Mon mari me dit souvent qu'il serait particulièrement heureux qu'un jour notre fils épouse une asiatique ou une arabe ainsi la boucle serait bouclée.
Par contre il y a une chose que nous ne pardonnerions jamais à nos enfants c'est s'ils devaient un jour tomber dans les extrêmes qu'ils soient religieux ou autre.
Isabelle.
Brigitte: Salut, ca faisait longtemps! Tu as raison au sujet du gouffre qui separe les paroles et les actes. J'en parle un peu dans ce billet lorsque j'aborde les Bobos.
Isabelle, sais-tu que tu peux facilement t'identifier par ton nom (au lieu de l'obscure "anonyme") en cliquant sur "Other" lorsque tu poses un commentaire? C'est plus sympa. Pour ce qui est des extrêmes, je te suis à 100%. La montée du communautarisme en est une qui m'interpelle de plus en plus.
Voila je vais faire un effort.
Je m'identifie sous Isa vu que je suis l'homonyme d'une de tes lectrices.
Bon réflexe, Isa! Mais Isabelle s'identifie aussi avec un lien sur son blog Blogosapiens, donc la confusion est évitée!
Ton article est très intéressant !! les commentaires aussi d'ailleurs !
Merci Zézette! Je suis en train de mettre au point une liste de billets sur le travail de mémoire, sur ses effets positifs lorsqu'il est serieusement effectué et sur les replis communautaires engendrés par son absence. Donc, à suivre...
Comme il est bon de prendre le temps de te lire!
Comme tu as raison!
Je regrette de ne pas passer aussi souvent que je le voudrais mais je tiens à te féliciter pour ton engagement et tes propos, toujours lucides et réfléchis!
Je te souhaite beaucoup de bonheur ainsi qu'à ta famille, que 2007 t'apporte tout ce que tu désires!
Amitiés
Domi
Bonjour Domi! Effectivement, cela fait longtemps que tu ne m'as pas fait une petite visite. Merci beaucoup pou ton gentil message.
Amicalement
Titophe
Bonjour Titophe et tout le monde,
Je suis contente que tu ais écrit ce billet parce que j'étais en train d'y penser pas plus tard qu'avant hier lorsque j'ai vu un n-ième "devoir de mémoire" sur la shoah. Je crois que c'était l'anniversaire de quelque chose.
Je dois avouer que je n'ai pas tout écouté pour la simple raison que j'étais agacée... Eh oui! Cette différence qui a été faite entre les horreurs subies par les Juifs et celles subies par les Africains est une telle injustice que j'ai de plus en plus de mal à ne pas en vouloir aux "conquérents" qui se sont permis de ré_écrire l'histoire à leur guise. C'est d'autant plus agaçant que les juifs passent pour malains et riche et les Noirs pour pauvres et stupides...
Je me demande sincèrement si un jour on arrivera à rattraper tout ce gâchi...
Bonne journée
Bonjour VictoriaShu, et merci pour ton commentaire sympa. Il n'empêche que je ne te rejoins pas lorsque tu dis "Cette différence qui a été faite entre les horreurs subies par les Juifs et celles subies par les Africains est une telle injustice ..."
Non, la différence n'est pas dans l'horreur des faits, elle est dans ce que l'on en retient, c'est à dire dans un traitement inégal de la mémoire.
Cette inégalité provoque une radicalisation absurde et l'opposition de deux communautés, là ou elles devraient s'unir.
Salut Titophe,
Intéressant parallèle. Quelques questions pour faire avancer le débat et voir si les 2 peuvent réellement être comparés : communauté d'ordre spirituelle d'un côté et communauté d'ordre géographique ou ethnique de l'autre, déjà quelles sont les tailles de ces communautés ? En centaine de millions des 2 côtés ? Ensuite s'il est probable qu'une majeure partie des juifs ont souffert de la Shoah en Europe, directement ou indirectement, peut-on dire qu'une majeure partie des noirs ont souffert de l'esclavage des blancs ? Sinon peut-on dire qu'il n'est pas possible de prendre le peuple africain ou noir en son entier au sujet de la colonisation ?
Il est faut de dire que les noirs sont absents du leadership mondial : regarder aux Etats-unis : Obama, Rice, Powell ... En France ça viendra ...
En fait je pense que le parallèle est légitime mais que les 2 sont très différents.
Je dirais qu'il faut aller beaucoup plus loin dans le détail de la comparaison : motivations économiques, justification idéologiques, etc ...
Bonjour Nathan, très heureux de t'accueillir de nouveau. En ce qui concerne le décalage d'échelle, tu as bien entendu raison, mais là n'est pas le débat, à mon sens.
Je ne situe pas la problématique au niveau des victimes passées, car on ne changera pas ce passé. Je pars au contraire du principe que les noirs d'aujourd'hui sont victimes non pas de colonialisme (encore que la Francafrique n'est pas qu'une abstraction) ni d'esclavage, mais qu'ils sont au contraire victimes d'une image dévalorisée elle-même étant un héritage des douleurs du passé.
Pour le problème du leadership, Obama, Rice ou Powell ne représentent pas la communauté noire, mais sont bien les héritiers de Washington. Peu importe leur couleur de peau, ce qui importe c'est leur esprit, et je ne pense pas qu'il représente une rupture, Rice la première. Pour Obama, il faut attendre. Le leadership sera équitablement distribué lorsque des leaders d'autres pays hors des US ou de l'Europe pèseront enfin dans la marche du monde, de facon positive et constructive bien entendu.
Merci !
M'autorisez-vous à mettre votre blog sur les liens du mien ?
Bon dimanche
Malaïka
Malaïka, vous me faites trop d'honneur! J'irai faire un tour chez vous aussi dans la journée.
Merci Titophe pour le lien :-) l'oubli c'est le privilège des vacances efficaces !
J'aime beaucoup ton "étude" sur juifs et noirs et je tiens à signaler que certaines unions juifs/noirs donnent des résultats prodigieux, trois cas que je présente sur le blog de L’Apologie du Métissage :
Lenny Krawitz
=> père juif et mère noire
Lisa Bonet
=> mère juive et père noir
Booba
mère juive et père noir
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