36 - Se connaître ou se reconnaitre?
Vendredi 31 Mars 2006
A plusieurs reprises, j’ai considéré que se connaître, se découvrir, est la façon la plus sure de mettre fin aux préjugés racistes. Encore faudrait-il définir un peu mieux ce que l’on entend par «se connaître». Je tiens à préciser que j’ai délibérément choisi de parler de jugement de l’autre dans le contexte de ce billet. Je pense ainsi que le racisme n’est rien d’autre qu’une forme de jugement biaisé par des préjugés. Aussi, même si certains pensent que l’on peut exister sans avoir à juger les autres, c’est qu’ils sont déjà dans une démarche personnelle qui relègue le racisme aux oubliettes, et donc sont peu concernés par la suite.
« Se connaître » Cette expression est utilisée fréquemment pour designer des situations sensiblement différentes.
On peut en effet « connaître de vue » ou « vaguement connaître » quelqu’un. Dans ce cas, la connaissance que l’on a de la personne est extrêmement superficielle. On connaît son nom, éventuellement ses traits ou son activité, mais cela s’arrête là. Souvent d’ailleurs la connaissance est-elle unilatérale, c'est-à-dire que la personne en question ne nous connaît pas. On peut par exemple illustrer ce type de connaissance par celui que l’on a de personnes vues ou entendues sur des medias (télévision, radio, journaux, Internet). Rien dans cette pseudo-connaissance ne permet de dissiper le malentendu du préjugé car aucun échange n’a permis un quelconque rapprochement. Tout jugement de l’individu relèvera dans ce cas uniquement du préjugé, si tant est qu’il y a jugement.
On peut ensuite « assez bien connaître » une personne. Cela signifie souvent qu’une communication a eu lieu, mais qu’elle s’est limitée à des sujets très ciblés qui ne permettent finalement pas de connaître la personne elle-même, mais plutôt d’approfondir la connaissance du sujet en question. La personne « connue » n’ayant eu que le rôle de vecteur d’une information étrangère à sa nature même en tant qu’individu. Le jugement de l’individu sera dans ce cas limité à l’expérience vécue lors de cet échange et ne relèvera pas de sa valeur intrinsèque. Nous sommes ici dans le cas de relations de type professionnelles ou épisodiques (parents qui discutent en attendant leurs enfants, amis d’amis, etc…). Encore une fois, rien dans cette relation ne permet de juger objectivement cet autre qui, s’il est « différent », sera souvent affublé des préjugés courants liés à cette différence.
Et finalement, on « connaît très bien » un nombre plus réduit d’individus avec lesquels on a tissé une relation étroite. Il s’agit souvent ici d’amis ou de personnes proches que l’on voit non pas pour ce qu’ils paraissent être, mais pour ce qu’ils sont vraiment. Je me demande même si l’on ne se reconnaît pas en eux, ce qui facilite bien entendu un regard plus ouvert. Seule ce type de connaissance de l’autre peut amener à s’affranchir de la pollution des préjugés. Dans ce contexte, j’ai observé que l’on oublie inconsciemment les apparences et que le regard que l’on a de l’autre est en quelque sorte bien plus intrusif, que l’on réussit presque a percer son armure. Bien que réalisant la longueur de ce billet, je ne résiste pas a narrer une petite anecdote assez révélatrice : Il y a bien longtemps, nous nous trouvions, mon épouse et moi, dans une grande surface de vêtements. Nous étant séparés un instant, je la recherchais entre les étalages lorsque je fus abordé par une vendeuse qui me demanda gentiment si elle pouvait m’aider. Lui ayant dit que je ne faisais que chercher ma femme, elle m’a proposé son aide en me demandant « comment était cette dame ». Je me suis mis à scruter ma mémoire pour lui décrire son habillement, sa taille, sa coiffure etc… sans penser un instant qu’il était bien plus simple de lui dire qu’elle était noire ! C’est quand finalement nous l’avons trouvée que ma femme m’a suggéré ce raccourci ma foi bien pratique ! Cette anecdote qui peut faire sourire illustre bien le regard épuré par la connaissance de l’autre ou les différences ne sont que les leurres. Bien entendu, lorsqu’il s’agit d’un couple, d’autres facteurs peuvent dénaturer la démonstration.
Pour terminer, je citerai une autre anecdote que je trouve aussi révélatrice du changement que la connaissance peut engendrer dans le regard que l’on a les uns des autres. Il y a quelques années, nous nous sommes installés dans une toute petite commune rurale ou la couleur de mes femmes était une nouveauté. L’accueil général a été plutôt excellent, mais quelques uns ont toutefois montré une certaine réserve, si ce n’est une réserve certaine. Ce fut le cas pour une de nos proches voisines qui nous battit froid, nous regarda de loin et trouva une multitude d’excuses pour refuser nos invitations a répétition jusqu'à ce que nous nous lassions. Le hasard fit que nous eûmes des amis communs, nous amenant à nous rencontrer de façon indirecte lors d’une belle bringue comme nous en faisons (peut-être un peu trop) souvent dans notre quartier. Cette voisine découvrit finalement en ma femme une personne très au fait des coutumes locales, très a l’aise dans une ambiance relâchée et pleine d’humour (voir mon billet sur le sujet), et finalement très proche d’elle ! Elles sont depuis devenues les meilleures des amies et représentent un peu le cœur de notre lieu-dit dans lequel elles ont remis de la vie et de la joie. Tout cela grâce au fait de s’être réellement connues, d'avoir chacune reconnu en l'autre une part non négligeable d'elle-même. Nous rions souvent lorsque notre voisine parle des gens qui vont et viennent au grée des mouvements de notre petite population, en souhaitant que ce ne soient pas des étrangers qui les remplacent, sans plus jamais prendre mon épouse pour l’une d’entre eux…
Bon, j’en termine avec ce long billet un peu laborieux mais qui me tenait a cœur, car c’est un des premiers dans lequel je passe du simple constat a plus d’optimisme car des solutions existent !
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