Racisme et Histoire: Le Tabou

La société Francaise souffre d'amnésie. Elle se refuse à reconnaitre les périodes peu glorieuses de son histoire durant lesquelles l'esclavagisme et le colonialisme ont été justifiés par un racisme institutionnel. Ces périodes sont révolues, mais mal assumées, formant ainsi un bon terreau pour permettre au racisme institué à l'époque de survivre sous d'autres formes.

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Marié a une femme noire depuis bientot 20 ans, père d'enfants metis, je suis de plus en plus inquiet face aux non-dits de notre société occidentale. Admettre et reconnaitre notre histoire dans ses composantes les moins glorieuses serait enfin admettre qu'etre Francais, ce n'est plus seulement etre un descendant des gaulois. Nous pourrions rendre leur dignité a celles et ceux qui se sentent exclus.

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01 octobre 2007

130 - Racisme Institutionnel - (4) En Europe

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Lundi 1er octobre 2007

Quatrième partie de l'article de Teun A. Van Dijk.

Chapitres précédents:
(1) Introduction
(2) Le racisme des élites
(3) L’analyse du discours raciste


En Europe



Nous nous intéressons avant tout ici au racisme « européen ». Non pas parce que les « Blancs » seraient nécessairement et intrinsèquement racistes, mais parce que le racisme européen a été le plus répandu et le plus destructeur à l’échelle du monde, et ceci pratiquement jusqu’à aujourd’hui. Il est devenu courant de décrire, d’expliquer, voire d’excuser le racisme actuel en Europe en faisant référence à l’augmentation massive du nombre d’immigrés non-européens - un genre d’explication qui s’apparenterait plutôt à une variante du « mettre la faute sur le dos des victimes ». Il y a au contraire de bonnes raisons de croire que cette immigration n’a fait que raviver et aggraver des sentiments racistes bien ancrés. Il y a tout d’abord maintes formes de racisme européen dont font les frais des minorités établies depuis longtemps et qui n’ont rien à voir avec une quelconque immigration, les cas les plus spectaculaires étant l’antisémitisme présent à peu près partout, ainsi que la discrimination dont souffrent les gens du voyage, les Roms et les Gitans.
Beaucoup d’Européens se sont également rendus coupables, pendant la période coloniale, de discriminations et d’exactions racistes dans leurs colonies, et il serait difficile d’attribuer un tel racisme à l’immigration de l’Autre, puisque c’étaient bel et bien les Européens qui étaient les immigrants, et qui de plus dominaient les « Autres » et les spoliaient de leurs biens et de leurs terres.
Tout au cours de leur histoire, les élites européennes ont produit des écrits à caractère raciste sur les « Autres » non-européens, même quand ceux-ci n’immigraient pas en Europe.
Et il est avéré finalement qu’en Europe ce sont précisément les élites qui ont entretenu le moins de contacts au quotidien avec les immigrants. Ceci vaut d’ailleurs aussi pour le « racisme populaire », qui n’est justement pas le plus prononcé dans les quartiers pauvres à forte population immigrée, mais là où, dans les quartiers chics aussi bien que populaires, les habitants craignent un afflux possible d’« étrangers ».
En d’autres termes, le racisme contemporain en Europe n’a rien de nouveau, il s’inscrit dans une longue tradition. Il n’est pas causé par l’immigration, mais bien par le portrait systématiquement négatif fait de « l’Autre » dans ses représentations sociales à travers les âges. Il suffit de lire les écrits politiques, les journaux, les textes savants, les arts et la littérature, tout ce qui a été écrit au moins jusqu’à la deuxième guerre mondiale, pour voir à quel point les préjugés racistes à l’égard des Africains, des Asiatiques et des Amérindiens étaient répandus et flagrants. Ces pratiques et idéologies n’avaient rien d’exceptionnelles, elles constituaient la norme officielle.
Certains pays - tels le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France - légifèrent aujourd’hui contre le racisme et l’antisémitisme, tout en limitant sévèrement l’immigration, en tolérant l’existence de partis politiques ouvertement racistes, et en évitant soigneusement toute mesure énergique contre les multiples formes du racisme quotidien, tant dans les institutions que dans la sphère publique. En Italie, en Autriche, au Danemark et aux Pays-Bas, des partis peu ou prou racistes peuvent atteindre un score électoral qui frise les 30% et même devenir des partenaires des coalitions gouvernementales au pouvoir.
Des faits de cette nature commencent par être officiellement condamnés et critiqués sur la base de la norme antiraciste en vigueur, comme on l’a vu avec Haider en Autriche. Mais les principes libéraux ou le réalisme politique ne tardent jamais à reprendre le dessus, et l’on « fait avec » les partis racistes comme faisant partie du « consensus démocratique », comme s’il s’agissait d’une opinion politique possible parmi d’autres : tel est le cas en Italie, au Danemark et en France. Mais ce qui est encore plus grave, c’est que ce qui constituait le fonds de commerce des partis racistes d’il y a dix ou vingt ans fait maintenant partie des idées et politiques généralement admises et partagées par les partis traditionnels quand il est question de limiter l’immigration et de restreindre les droits fondamentaux des réfugiés, immigrés et autres minoritaires. Des pays traditionnellement « tolérants » comme les Pays-Bas ou les pays Scandinaves sont ainsi devenus des foyers de xénophobie rampante, d’anti-islamisme et de racisme pur et simple. Mais d’autre part, nous pouvons témoigner d’un multiculturalisme en marche dans les écoles, les quartiers, les ONG et beaucoup d’autres domaines de la société civile, et d’une opposition croissante aux pratiques des gouvernements en place.
Alors que la politique en Europe a plutôt versé vers la droite, en adoptant une ligne anti-immigration, les médias ont joué eux aussi un rôle ambivalent, et cela particulièrement après les attaques terroristes meurtrières perpétrées par des islamistes radicaux, en permettant et en attisant la légitimation de sentiments anti-immigration et anti-islam dans leurs pays. En fait, et à de rares exceptions près, les grands médias européens ne se sont guère opposés à la progression du racisme et de la xénophobie dans la politique et l’opinion publique européennes. Bien au contraire, comme on l’a vu à l’occasion du phénomène politique Fortuyn en Hollande, la presse et de nombreuses autres parties de l’élite se sont donné beaucoup de mal pour essayer de convaincre qu’une position anti-immigration et anti-islam ne saurait être considérée comme une forme de racisme. Plus crûment, il semblerait qu’une fois la xénophobie répandue comme une forme de bon sens généralisé avec lequel « nous » sommes tous d’accord, il ne pourrait plus être question de la considérer comme « racisme ».
Finalement, la norme antiraciste paraît même sur le déclin lorsqu’on voit un nombre croissant d’Européens se définir ouvertement comme « racistes » - dans les enquêtes menées par la firme «Eurobarometer» - dès que ce vocable correspond à l’« hostilité envers l’immigration » et les immigrés « profiteurs ». Il n’est alors pas surprenant que beaucoup d’électeurs, même ceux qui ne sont pas en contact quotidien avec des immigrés, votent pour des partis ouvertement favorables au freinage ou à l’arrêt de l’immigration. Cela veut dire que les gens ont bien assimilé le discours des élites et qu’ils soutiennent les personnalités politiques qui ont montré le mauvais exemple. Le racisme des élites se voit alors légitimé par celui des couches populaires, et ceci permet l’adoption de politiques ouvertement populistes visant à maintenir le pouvoir en place, et cela ne concerne pas que la droite de l’échiquier politique.




... A suivre
Chapitres suivants:
(5) La structure du discours raciste
(6) La sortie du racisme

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10 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Excellente analyse, que dire de plus, de bons articles sont actuellement sur le site du CVUH sur la colonisation et des historiens font une analyse similaire. Mais qui les entend?

01 octobre, 2007 13:15  
Blogger Titophe said...

Polly, ce site recèle d'articles remarquables. Qui en est à l'origine? Je crois avoir déjà entendu parler d'un comité de vigileance, mais je n'en suis pas très sur.

01 octobre, 2007 13:28  
Anonymous Anonyme said...

Pour l'origine du site? je ne sais pas une bande d'historiens admirateurs de Vidal Naquet, un historien de haut vol, peut-être Marc Ferro (mais je n'ai jamais trouvé d'articles émanent de cet intègre historien non plus). En tous cas c'est formidable qu'il existe et nous garde en éveil.

01 octobre, 2007 20:15  
Anonymous Anonyme said...

Titophe,

Ta note me laisse perplexe, partagée entre des sentiments différents voire contraires.

Je vais commencer par le négatif: le racisme est une composante de toute société humaine. Je ne parlerai même pas de racisme, je parlerai d'exclusion. Toute société a été basée et est encore basée sur cette distinction entre ceux qui sont les modèles et ceux à éviter.

Je ne sais si c'est bien ou pas, ça a plutôt tendance à me désespérer, mais je me sens le plus souvent impuissante.
Le racisme dont tu parles, on le retrouve dans TOUTES les sociétés et dans TOUS les pays. Je peux te dire qu'en Inde, comme au Sénégal, j'ai eu le droit à des rejets divers basés sur ma couleur ou sur ma culture.
Ne parlons même pas des religions qui n'existent que pour relier les gens (c'est l'étymologie de ce mot), et qui en les reliant, excluent tous ceux qui ne cadrent pas ou ne veulent pas cadrer.

Je ne pense donc pas que l'Europe soit un continent où le racisme soit plus développé, je pense juste qu'il est plus visible.

En revanche, je suis tout à faire d'accord avec toi sur la dangereuse récupération politique et médiatique du racisme . Ce n'est pas parce que le racisme est un travers de chaque société que les hommes politiques doivent le considérer comme compréhensible ou normal.
Le viol est aussi un travers de toute société, pourtant je n'ai jamais vu aucun homme politique expliquait qu'avec toutes les nanas à moitié nues qui se promenaient dans la rue, il était normal que certains hommes perdent les pédales (en France en tout cas...)

Merci pour tes notes. Elles permettent d'avancer dans la réflexion, j'aimerais avoir autant de verve que toi!

02 octobre, 2007 13:19  
Blogger Titophe said...

Polly, oui, c'est une heureuse initiative. Dommage qu'elle soit si peu médiatisée.

Mariam. Oui, bien entendu, l'exclusion existe de partout. J'ai vécu suffisament longtemps au Cameroun pour le savoir. Je serais très intéressé de conaitre ton point de vue sur le premier article que j'ai mis en ligne il y a déjà bien longtemps, qui s'intitulait Les manifestations du racisme. Sens-toi libre de décrire ta propre vision, je me ferai un plaisir d'amender l'article avec ton feedback.

Pour terminer, je tiens à insister sur le fait que cet article n'est pas de moi, mais de Teun A. Van Dijk. Bien que je partage sincèrement son constat, j'essaye d'être souvent moins vindicatif.

02 octobre, 2007 16:30  
Anonymous Anonyme said...

Mariam a raison et elle a tort.
Le racisme n'est pas une composante de toute société. Quand les blancs sont arrivés en Amérique, ils ont été fort bien accueillis par les autochtones (voir Christophe Colomb) mais les Espagnols ont très vite exploité cette manne humaine. Quand les Français sont arrivés en Polynésie, ils furent accueillis royalement,(voir les voyages de Bougainville) etc. Le racisme a donc été exporté avec les mentalités occidentales. Aujourd'hui si en Afrique ou en Inde, il s'est installé, je verrais plutôt un racisme boomerang (mais je nuance, les tribus africaines l'étaient avant, entre elles, et ce sont elles qui ont alimenté la traite des esclaves, y compris de ceux vendus à l'Orient).
C'est une question de civilisation, quand celle-ci est un tant soit peu élaborée, et surtout "reliée" comme l'explique Mariam par la religion ou une "vérité supérieure", à ce moment, il y a rejet de la différence -et qu'elle soit de couleur, de classe sociale, d'origine, d'ethnie ou de sexe (féminin de préférence)- ainsi s'installe une hiérachie qui va exclure. C'est vieux comme la naissance de l'écriture et même avant, aux premiers pas des villages agricoles qui voulurent protéger leurs récoltes... donc combats et méfiance, guerres et hierachisations féodales.
On ne peut faire l'économie de l'histoire pour trouver des explications. Même si on ne peut pas tout expliquer par l'histoire, les mentalités des uns et des autres sont la conséquence d'un apprentissage spécifique à un lieu et c'est bien là que le bât blesse.
Aujourd'hui comme hier, le racisme comme je le disais déjà ici est une nécessité des dominants pour mieux diviser et continuer entre eux leurs fructueux parcours. pendant que les petits s'entredéchirent,les gros étendent leurs profits. Et ce n'est pas caricatural.

03 octobre, 2007 17:47  
Blogger Titophe said...

Bonjour Polly. Je partage ton sentiment sur le constat, mais je reste perplexe sur les causes. En effet, je pense profondément que ce n'est pas la "nature" blanche des occidentaux qui est à l'origine du racisme que tu décris. C'est plutot un ensemble de circonstances qui ont amené les sociétés occidentales à développer ce complexe de supérorité. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'article de Teun A. Van Dijk m'intéresse, car ils s'intéresse à ces circonstances, en choisissant la piste des élites. Ce n'est peut-être pas la seule réponse, mais s'en est une intéressante.

04 octobre, 2007 09:41  
Anonymous Anonyme said...

Je n'ai pas dit que c'était propre aux blancs... relis. Ce sont les circonstances civilisatrices où qu'elles se développent qui créent la peur de l'autre et la protection de sa "vérité" supérieure.

04 octobre, 2007 15:34  
Blogger Titophe said...

J'avais bien compris, Polly ;-)
Nous sommes sur la même page pour ce sujet, sans aucun doute. Ma réaction était induite par ta phrase "Le racisme a donc été exporté avec les mentalités occidentales".
Mais pour passer à autre chose, ce qui me chiffonne, est que ce constat, quels que soient les mots utilisés, reste confidentiel. Peu de personnes en ont conscience.

04 octobre, 2007 15:38  
Blogger Jérémie Lopez said...

Très interessant ce texte et la discussion qui se poursuit après. J'ai moi aussi écrit un texte sur le racisme, notamment, comment un esprit neutre peut etre amener à rejoindre une idéologie raciste.
N'hesitez surtout pas à réagir à mon article, je serais très interressé de connaitre diverses opinions!
(c'est vrai que tu as bien raison titophe, il faut que les gens réalisent la connerie de cette pensée, mais comment le peuvent il si il n'y a pas de médiatisation ? Il faut se faire entendre, parler autour de soi, discuter et c'est là que l'on peut arriver à prendre en considération l'absurdité de ce fléau!)

voila le texte:

http://lopezjeremie.blogspot.com/2009/04/constat-et-analyses-societales.html

27 avril, 2009 16:46  

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