131 - Racisme Institutionnel - (5) La structure du discours raciste
Mardi 2 octobre 2007
Cinquième partie de l'article de Teun A. Van Dijk. Certainement mon passage préféré, dont le sens rejoint en tous points ce blog.
Chapitres précédents:
(1) Introduction
(2) Le racisme des élites
(3) L’analyse du discours raciste
(4) En Europe
La structure du discours raciste
Conformément à la trame de tous les discours idéologiques, le discours raciste se caractérise lui aussi par une stratégie générale de représentation de soi positive, et d’une représentation négative de l’Autre, et ceci à tous les niveaux du texte et de la parole. Cette polarisation entre «Nous» et «Eux» et les diverses manières d’amplifier les opinions négatives ou positives dans le discours peuvent être attestées dans le choix du sujet, des mots, des métaphores, de l’hyperbole, des euphémismes, des démentis (« Je ne suis pas raciste, mais... »), du narratif, de l’argumentation, des images, de la disposition du texte, et de bien d’autres propriétés du discours.
Les débats parlementaires, l’information, les manuels et les conversations de tous les jours qui ont « l’Autre » pour sujet ont tendance à se limiter à un nombre restreint d’éléments stéréotypés tels que : l’immigration illégale, les problèmes d’accueil et d’adaptation culturelle, le crime, la drogue et la déviance. Dans l’ensemble, la représentation de l’Autre met l’accent sur la différence, la déviance, et la menace.
Le déni routinier, ou la sous-estimation du racisme, fait partie de la stratégie d’ensemble de présentation positive de soi, chez les élites en particulier. Les minorités ethniques n’ont pratiquement aucun accès ni aucun contrôle sur les discours tenus à leur propos, qui sont en général prononcés et écrits par des élites « blanches ». De plus, les discours tenus sur Eux ou sur les sujets « ethniques » en général ne leur sont généralement pas adressés : « Eux » ont tendance à être ignorés en tant que récepteurs potentiels des textes et discours publics.
C’est ainsi que, dans les débats parlementaires, les délibérations concernent presque toujours d’abord le problème de l’immigration « illégale », puis en viennent aux moyens de restreindre davantage l’immigration. Ces débats se caractérisent par mélange de représentation positive de soi (gloriole nationaliste, « notre longue tradition d’aide aux réfugiés », etc.) et, de façon systématique mais subtile, de présentation négative des nouveaux arrivants comme faisant problème ou grevant le budget, quand il ne constituent pas une menace pour notre système de sécurité sociale, nos emplois, ou la culture occidentale et ses valeurs. On formule alors des arguments spécieux selon lesquels il serait préférable pour « Eux » de ne pas être admis sur notre territoire, ceci afin qu’ils puissent contribuer au développement de leurs propres pays, ou bien être accueillis dans des régions plus proches de leur lieu d’origine, ou bien alors, comble du cynisme, afin de leur épargner le racisme rampant - des quartiers populaires (bien entendu) - dans nos pays. Et quelles que soient les entraves à l’immigration et les restrictions en droits et en libertés dont les immigrés sont victimes, de telles mesures sont toujours représentées comme « fermes, mais justes ».
Le sujet principal de préoccupation, ce sont les problèmes causés par les immigrés, mais pratiquement jamais les innombrables problèmes auxquels Eux sont confrontés, et dont Nous sommes la cause, allant des multiples formes de discrimination au harcèlement administratif des permis de séjour et autres problèmes bureaucratiques fastidieux.
La presse, qui à cause de son état de symbiose avec la politique nationale et les partis qui prescrivent la plupart de son contenu, suit presque toujours le mouvement, avec quelques minimes variantes reflétant le clivage entre centre gauche et extrême droite en politique - la vraie gauche ayant pratiquement été éliminée en Europe (à l’exception de pays pauvres comme le Portugal). Quel que soit le type d’événement à caractère ethnique, c’est toujours la personnalité politique, le maire, l’officier de police, le professeur ou tout autre « expert » - tous blancs en général - qui se trouve invitée, interviewée, et donc citée. Les groupes issus de minorités, leurs organisations et porte-parole, qui manquent en général de relais de presse auprès des officines de relations publiques, n’ont pas ce genre d’accès. Dans nos travaux sur le terrain, nous avons fréquemment observé que les communiqués des associations de minorités sont par définition soupçonnés d’être partisans (alors que les sources « blanches » sont tenues pour « objectives ») et qu’ils finissent généralement à la corbeille.
À côté des institutions politiques et médiatiques, les institutions d’enseignement sont les agents principaux de la reproduction des représentations sociales en général, et des stéréotypes et préjugés en particulier. Les manuels scolaires sont les véhicules par excellence du « savoir officiel », idéologie dominante du moment incluse. Les manuels sont également bien connus pour leurs bonnes dispositions à l’égard du pays, voire leur nationalisme flagrant : la geste nationale est magnifiée, et les fautes et les crimes édulcorés ou tout simplement omis. Ainsi, peu de livres de classe européens s’étendent sur les exactions esclavagistes et les atrocités coloniales.
Les manuels scolaires, en Europe et dans d’anciennes possessions européennes (Amériques, Australie, Nouvelle Zélande), représentent d’ailleurs les minorités dans la métropole de manière assez similaire à la représentation des peuples non-européens au niveau international. La dernière décennie a vu malgré tout une certaine amélioration de cet état de choses déplorable. Quelques pages des manuels sont désormais consacrées aux immigrés et aux minorités, et il y est fait quelques références au colonialisme, à la discrimination, ou même au racisme - mais jamais en des termes qui impliqueraient un système global de domination ethnique, omniprésent dans tous les domaines et à tous les niveaux de la société, et notamment parmi les élites.
En dépit de cette situation générale, l’enseignement et la recherche restent l’un des rares secteurs où des points de vue différents, ainsi que des principes et des orientations alternatives, peuvent se manifester. Grâce aussi à la pression exercée par un nombre croissant d’étudiants « étrangers » dans les salles de cours des villes européennes, un multiculturalisme modeste commence à s’épanouir, sur le papier tout du moins, dans les lois sur l’enseignement, les programmes et les manuels.
... A suivre
Chapitre suivant:
(6) La sortie du racisme
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2 Comments:
Bonjour, et bravo pour votre blog! Il est vrai que nous associons aujourd'hui très rapidement immigration avec pauvreté, couleur de peau et délinquance. J'ai 60 ans et des poussières, je pense être resté jeune d'esprit, mais en lisant quelques articles de votre blog, je me rend compte d'être quand même un peu conditionné. En effet, j'avoue honteusement que lorsque je croise un "autre" dans la rue ou dans un autobus, me sentir à la fois différent et heureux de l'être... Pourquoi? C'est peut-être ici que je trouverai une piste...
Robert, votre franchise est digne d'éloges. Le "Pourquoi?" de votre commentaire est LA solution et certainement le début de LA réponse. Car en s'interrogeant ainsi, vous vous libérez.
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