Racisme et Histoire: Le Tabou

La société Francaise souffre d'amnésie. Elle se refuse à reconnaitre les périodes peu glorieuses de son histoire durant lesquelles l'esclavagisme et le colonialisme ont été justifiés par un racisme institutionnel. Ces périodes sont révolues, mais mal assumées, formant ainsi un bon terreau pour permettre au racisme institué à l'époque de survivre sous d'autres formes.

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Marié a une femme noire depuis bientot 20 ans, père d'enfants metis, je suis de plus en plus inquiet face aux non-dits de notre société occidentale. Admettre et reconnaitre notre histoire dans ses composantes les moins glorieuses serait enfin admettre qu'etre Francais, ce n'est plus seulement etre un descendant des gaulois. Nous pourrions rendre leur dignité a celles et ceux qui se sentent exclus.

Le coin des compteurs
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31 octobre 2007

136 - Histoire et communautarisme

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Mercredi 31 octobre 2007

Le communautarisme est la plaie de notre société. Nous avons déjà abordé le sujet à maintes reprises. Ce phénomène nous éloigne les uns des autres alors que nous avons la chance d’être si proches.

Si nous voulons inverser cette tendance destructrice, encore faut-il s’intéresser aux facteurs « communautarisant ». Qu’est-ce à dire ?

Nous réduisons trop souvent les communautés à des types ethniques ou à des origines géographiques. Je pense qu’on se trompe par cette approche simpliste.

Le terme « communauté » a comme racine « commun », c'est-à-dire le partage de certains facteurs. Les apparences sont parfois trompeuses, et dans ce domaine autant qu’ailleurs. Les communautés sont devenues des communautés de ressenti, des communautés émotionnelles, de souffrance, de frustrations, d’aveuglement, de mauvaise foi. Un ennemi partagé est trop souvent le fédérateur.

Le premier des facteurs est l’histoire, car nous l’appréhendons encore avec une approche communautariste. Les gloires de certaines communautés sont systématiquement mises en avant, alors que d’autres sont ignorées ou à peine abordées. Ceci est vrai dans l’enseignement, mais aussi dans les medias, dans les arts, dans la littérature, dans le cinéma.. Et que dire des antihéros, les ennemis historiques sur lesquels se fondent aussi les communautés ?

Le lien entre les individus et l’histoire est un lien chargé affectivement et émotionnellement. Une histoire controversée renvoie une image négative sur ceux qui se sentent les héritiers de cette histoire.
Les gens aujourd’hui s’associent et s’identifient à ceux qui les ont précédés et en qui ils aiment se reconnaître. Ainsi ils préfèrent regarder l’histoire de façon positive car cette image positive est celle à laquelle ils s’identifient. Ils vont donc développer un sentiment de culpabilité ou de victime selon les cas.
Bien que n’ayant pratiqué ou subi aucun acte de violence en relation avec les périodes historiques évoquées, ils portent toujours en eux l’esprit qui a conduit leurs ancêtres dans ces situations. Cet état d’esprit est en lui-même porteur de culpabilité ou de sentiment victimaire.

Notre société se diversifie sans pour autant élargir le champ du rétroviseur. Les héros des uns sont les « méchants » des autres, ce qui ne fait qu’alimenter le sentiment communautaire.

Et si nous cessions de regarder l’histoire avec nos tripes ? Et si nous sortions de cette logique romantique lorsque nous nous retournons sur le passé ? Le cas « Guy Môquet » parle de lui-même. On joue sur le registre émotionnel et on renforce frustrations et fausse gloriole.

Et si nous trouvions un ennemi vraiment commun ? Ne serait-ce pas le communautarisme ?



Titophe

A lire:
- Comment l'apparition d'un nouvel "ennemi" rend caduques les barrières communautaires: E.T. nous observe


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22 octobre 2007

135 - Et si on se "Môquet" de nous?

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Lundi 22 octobre 2007


Combien de nos concitoyens connaissent Guy Môquet depuis plus de 6 mois ? Certainement très peu, ce qui n’enlève en rien la grandeur d’âme du personnage.
Pourquoi soudain un tel enthousiasme, une telle effervescence ? Parce que notre nouveau « guide » veut aussi être celui de nos esprits. Comme Mao rendait obligatoire la lecture du petit livre rouge, la dernière lettre de Guy Môquet sera lue à tous les petits Français par leurs enseignants.

Effectivement, lorsqu’on a rêvé d’être président toute sa vie, l’objectif atteint, que reste-t-il, si ce n’est de se transformer en «guide spirituel» ? Une élévation divine qui n’est pas du gout de tous. La majorité n’est pas l’unanimité.

Quel est l’objectif de cette lecture, de ce soudain engouement présidentiel pour ce jeune communiste? Ne serait-ce pas pour redonner une couche de peinture fraiche au patriotisme déclinant de notre jeunesse qui ne se reconnaît plus dans l’image édulcorée de notre «histoire de France» ?
Que voilà un beau moyen de mettre en lumière le héro, ce personnage romanesque en qui chacun aime s’identifier ! Et puis, cela permet aussi un meilleur contraste avec des périodes devenues soudain encore plus ombragées, et qu’il est temps de renvoyer dans l’oubli qu’elles n’auraient jamais du quitter.

La manipulation est encore une fois évidente :
- Guy Môquet est un jeune. Difficile pour les jeunes de ne pas être sensibles.
- Guy Môquet est un communiste. Difficile pour l’opposition de mettre en défaut l’icône.
- Guy Môquet est un héro. Ames romanesques, abstenez-vous de la moindre critique !

Pourtant, nous faire croire que nous sommes tous des descendants d'un Guy Môquet, c'est décréter que l'Histoire doit d'abord passer par la censure.

Alors, dans la même veine et dans un souci de reconnaître toutes les composantes de notre jeunesse si diverse, je propose de faire aussi lecture de la dernière lettre de Patrice Lumumba. Je vous la propose ci-dessous. Qu’en pensent les profs ?



Titophe

La dernière lettre de Patrice Lumumba



A 30 ans Patrice Lumumba devient le premier chef du gouvernement du Congo en 1960. Deux mois après son accession au pouvoir, essayant de gagner la province du Kasaï contrôlée par ses partisans fin novembre 1960, il est capturé. De sa prison, il écrit à sa femme Pauline.



Ma compagne chérie,



Je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront, quand ils te parviendront et si je serai en vie lorsque tu les liras. Tout au long de ma lutte pour l’indépendance de mon pays, je n’ai jamais douté un seul instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré toute notre vie. Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux – qui ont trouvé des soutiens directs et indirects, délibérés et non délibérés, parmi certains hauts fonctionnaires des Nations-unies, cet organisme en qui nous avons placé toute notre confiance lorsque nous avons fait appel à son assistance – ne l’ont jamais voulu.

Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance. Que pourrai je dire d’autre ?

Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. Mais ma foi restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi même que tôt ou tard mon peuple se débarrassera de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur.

Nous ne sommes pas seuls. L’Afrique, l’Asie et les peuples libres et libérés de tous les coins du monde se trouveront toujours aux côtés de millions de congolais qui n’abandonneront la lutte que le jour où il n’y aura plus de colonisateurs et leurs mercenaires dans notre pays. A mes enfants que je laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque Congolais, d’accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans dignité il n’y a pas de liberté, sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres.

Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Moi je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté.

Vive le Congo ! Vive l’Afrique !

Patrice Lumumba



A lire:
- Libé: Simone Veil commence à regretter...


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15 octobre 2007

134 - Discours de Dakar: Raciste ou calculé?

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Lundi 15 octobre 2007

Une polémique est née durant l’été. Tout est parti de ce discours. En post-scriptum, je me suis permis d'en extraire quelques passages. Bien que sortis de leur contexte, ceux-ci restent lisibles en toute autonomie, car leur contexte est un peu téléphoné. En effet, après une longue introduction, fort sympatique au demeurant (celà n'implique que moi), cette partie de tir groupé tombe "comme un cheveux dans la soupe".

Quelle belle illustration de l’analyse discursive de Teun A. Van Dijk !

Ce texte et les circonstances de son allocution lèvent, outre une polémique montante et salutaire, de nombreuses questions :
- A qui Sarkozy s’adresse-t-il en lisant ces lignes? A son auditoire direct, logiquement choqué, ou bien plus indirectement aux citoyens français?

Je penche pour la seconde option, car le personnage connaît et manipule à foison les préjugés bien ancrés dans ces esprits si disponibles. Ce discours se transforme ainsi en un renforcement des stéréotypes latents, prêts à accepter de nouvelles étapes vers l’inacceptable.

Chacun est libre, en théorie, de se faire sa propre opinion. Libre? Pas si sur, car la liberté commence par l’indépendance d’esprit. Je ne pense pas que «l’opinion publique» dans ce pays soit si libre que cela…

Pour rajouter encore un peu à la confusion, je vous propose ce petit montage sonore de 4mn30 qui commence par les explications vaseuses de Guaino, l’auteur du texte, suivies par les accusations brutes de fonderie de BHL.



Bonne écoute et bonne réflexion.

Libérez vous !

Titophe

PS: Quelques extraits choisis, éléments clefs ayant initié la polémique.

Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.


Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès.


Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne mais l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance.


Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin.


Le problème de l'Afrique et permettez à un ami de l'Afrique de le dire, il est là. Le défi de l'Afrique, c'est d'entrer davantage dans l'histoire. C'est de puiser en elle l'énergie, la force, l'envie, la volonté d'écouter et d'épouser sa propre histoire.


Le problème de l'Afrique, c'est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l'éternel retour, c'est de prendre conscience que l'âge d'or qu'elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu'il n'a jamais existé.


Le problème de l'Afrique, c'est qu'elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l'enfance.

[...]

Ouvrez les yeux, jeunes d'Afrique, et ne regardez plus, comme l'ont fait trop souvent vos aînés, la civilisation mondiale comme une menace pour votre identité mais la civilisation mondiale comme quelque chose qui vous appartient aussi.

[...]

La réalité de l'Afrique, c'est celle d'un grand continent qui a tout pour réussir et qui ne réussit pas parce qu'il n'arrive pas à se libérer de ses mythes.

[...]

Alors, je sais bien que la jeunesse africaine, ne doit pas être la seule jeunesse du monde assignée à résidence. Elle ne peut pas être la seule jeunesse du monde qui n'a le choix qu'entre la clandestinité et le repliement sur soi.


... Ben voyons! Avec 25,000 retours par an, la France va quand-même prendre sa part à cette assignation!




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10 octobre 2007

133 - Embarrassante Cité de l’immigration

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Mercredi 10 octobre 2007

Ouverture aujourd'hui de la Cité de l'immigration. On notera un certain embarras de la nouvelle classe dirigeante qui joue avec le feu depuis quelques mois et se retrouve fort dépourvue devant ce cadeau inattendu et encombrant. Je livre l'article de Libé tel quel:

Pas de flonflons pour la Cité de l’immigration
En contradiction avec la politique actuelle, le musée national ouvre aujourd’hui. Sans inauguration officielle.

Par CATHERINE COROLLER
QUOTIDIEN : mercredi 10 octobre 2007


Nicolas Sarkozy est en Russie, Brice Hortefeux, le ministre de l’Immigration, en Espagne. Les agendas de François Fillon et de Valérie Pécresse, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ne prévoient rien, et chez Xavier Darcos, ministre de l’Education nationale, la question suscite l’incompréhension : «La cité quoi ?» «De l’immigration ?» «Il se passe quelque chose de particulier cette semaine ?» Oui, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI), musée national s’il vous plaît, premier du genre en France, voire en Europe, ouvre ses portes au public ce matin. Côté inauguration officielle, en revanche, on attendra. Des quatre ministres de tutelle, seule Christine Albanel, la ministre de la Culture, s’y rendra ce soir, à 19 heures, non pas pour l’inaugurer, mais pour le visiter.

«Ça coince». A côté des tambours et trompettes qui avaient accompagné l’ouverture du musée du Quai-Branly ou de la Cité de l’architecture et du patrimoine, le silence du gouvernement interroge. «Il n’y a pas d’inauguration officielle parce que ça coince, ­explique l’historien Gérard Noiriel. Le discours de la Cité est de montrer les apports de l’immigration. Il est en contradiction avec celui du ministre de l’Identité nationale [Brice Hortefeux, ndlr], qui joue sur la suspicion généralisée de l’immigrant avec l’instauration de tests ADN.»

Il y a une vingtaine d’années, Gérard Noiriel avait ressenti, parmi les premiers, la nécessité de doter la France d’un musée susceptible de «changer le regard» sur l’immigration. La gauche rate le coche. Chirac reprend l’idée à son compte. Jacques Toubon, le président de la CNHI, est UMP tendance Chirac, les chercheurs sont plutôt de gauche, mais tous travaillent en bonne harmonie. En mai dernier, première véritable fausse note, huit historiens, dont Gérard Noiriel, démissionnent des instances dirigeantes de la Cité pour protester contre la création d’un ministère dont l’intitulé associe immigration et identité nationale.

Exaspéré. «Cette association de mots ne pouvait que conforter les stéréotypes et les préjugés qui existent aujourd’hui en France sur l’immigration», expliquent-ils. Ils continuent toutefois à soutenir le projet, et à y participer. Hier, lors d’une visite organisée pour la presse, Gérard Noiriel était présent ainsi que Marie-Christine Volovitch-Tavares, autre démissionnaire. En tête de la visite, donc, Jacques Toubon. Il est là pour parler du musée, pas pour commenter le manque de soutien officiel du gouvernement. «La Cité, c’est la Cité, la politique, c’est la politique», répète-t-il. Puis, exaspéré : « Le Président et le Premier ministre viendront dans quelques semaines et diront tout le bien qu’ils pensent de la Cité.»

En réalité, Brice Hortefeux est déjà venu, lundi soir, tout seul, en catimini. Qu’a-t-il pensé des photos montrant des manifestations de sans-papiers contre la politique de répression menée par les gouvernements successifs, ou le périple d’un immigré clandestin parti d’Afrique en bateau, débarqué aux Canaries, puis en France, où il a finalement été régularisé ? On n’en saura rien.

En l’absence d’inauguration officielle, la Ligue des droits de l’homme et d’autres associations appellent ce matin à une «inauguration citoyenne» de la Cité.




En supplément:
- Le site du musée

Petite vidéo sur l'immigration au XXeme siècle en France


Presse:
- Libération - Cet article sur le site de Libé
- Libération - Bien plus qu’un musée, un forum citoyen
- Le Figaro - La Cité de l'immigration naît dans la douleur


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04 octobre 2007

132 - Racisme Institutionnel - (6) La sortie du racisme

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Jeudi 4 octobre 2007

Sixième et dernière partie de l'article de Teun A. Van Dijk.

Chapitres précédents:
(1) Introduction
(2) Le racisme des élites
(3) L’analyse du discours raciste
(4) En Europe
(5) La structure du discours raciste


La sortie du racisme



L’analyse de débats parlementaires et d’autres formes de discours politique montre d’une part que le racisme est officiellement rejeté, mais que de l’autre, le discours des élites représente de plus en plus les immigrés en termes de menaces pour l’État providence, la culture occidentale, et bien sûr, pour « notre » supériorité économique, politique et sociale.
Avec l’arrivée de nombreux étudiants étrangers, qui forment des minorités ethniques à l’université, les institutions liées à l’enseignement ont joué un rôle important et novateur dans le développement d’une société pluriculturelle, par exemple dans le domaine de l’apprentissage des langues et dans certains aspects du programme éducatif. Cependant, ici aussi, l’on trouve maintes traces d’une longue histoire de programmes à caractère raciste et sexiste, reposant sur les formulations des spécialistes en sciences sociales et en sciences naturelles des générations précédentes. Bien que des progrès aient été accomplis au cours des dix dernières années, l’analyse des manuels scolaires révèle que l’enseignement de la société pluriculturelle est au mieux fragmentaire, contenant encore bien peu d’informations et encore beaucoup de stéréotypes et de préjugés en ce qui concerne les minorités ethniques et leurs pays ou continents d’origine.
En résumé, il semblerait que les élites et les institutions en Europe allient une doctrine officielle non raciste à la pratique quotidienne plus que fréquente de la discrimination liée à des idéologies racistes et ethnicistes. Quand elles sont exprimées et reproduites dans les discours des élites qui dominent la société, de la politique aux médias, et de l’enseignement à la recherche, ces diverses manifestations du racisme des élites affectent sérieusement le bien-être et les droits civiques des immigrés, des minorités et des réfugiés. En mettant l’accent sur l’immigration illégale, les problèmes liés à l’intégration, le crime, la violence, le terrorisme, le manque d’éducation, et, en général, toutes les qualités négatives attribuées à l’Autre, le discours des élites est à même de produire, de diffuser et de renforcer les préjugés et idéologies courants qui, à leur tour, engendrent et légitiment la discrimination au quotidien dans les domaines du droit au séjour, à l’emploi, à l’habitat, à la vie politique, à l’éducation, à la sécurité, à la santé, à la culture.
Le racisme discursif des élites ne se limite donc pas à de simples « mots » ou « idées », mais il constitue une pratique sociale envahissante et influente qui donne lieu, pour les minorités, à des formes concrètes d’inégalité ethnique et de subordination dans la vie de tous les jours. Il existe une voie majeure pour contrer ce racisme des élites : que des intellectuels et des groupes, issus des minorités ethniques aussi bien que de la majorité, émettent des discours dissidents, antiracistes, consistants et critiques. Le futur d’une Europe pluriculturelle et pacifique dépend de l’existence de discours d’élites alternatives, et de la façon dont ils parviendront à influencer les institutions. Dans le monde contemporain, en Europe et ailleurs, il n’y a pas d’alternative à une société pluriculturelle et pluriethnique, débarrassée du racisme. Seuls un discours et une idéologie résolument antiracistes des élites en faveur d’une telle société seront à même de la rendre possible.

Traduit de l’anglais par Patrice Riemens, révisé par Anne Querrien




FIN


Commentaire: La conclusion me semble claire, et va dans le sens de la solution 1 proposée dans le billet "Contraindre ou convaincre?".

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02 octobre 2007

131 - Racisme Institutionnel - (5) La structure du discours raciste

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Mardi 2 octobre 2007

Cinquième partie de l'article de Teun A. Van Dijk. Certainement mon passage préféré, dont le sens rejoint en tous points ce blog.

Chapitres précédents:
(1) Introduction
(2) Le racisme des élites
(3) L’analyse du discours raciste
(4) En Europe

La structure du discours raciste



Conformément à la trame de tous les discours idéologiques, le discours raciste se caractérise lui aussi par une stratégie générale de représentation de soi positive, et d’une représentation négative de l’Autre, et ceci à tous les niveaux du texte et de la parole. Cette polarisation entre «Nous» et «Eux» et les diverses manières d’amplifier les opinions négatives ou positives dans le discours peuvent être attestées dans le choix du sujet, des mots, des métaphores, de l’hyperbole, des euphémismes, des démentis (« Je ne suis pas raciste, mais... »), du narratif, de l’argumentation, des images, de la disposition du texte, et de bien d’autres propriétés du discours.
Les débats parlementaires, l’information, les manuels et les conversations de tous les jours qui ont « l’Autre » pour sujet ont tendance à se limiter à un nombre restreint d’éléments stéréotypés tels que : l’immigration illégale, les problèmes d’accueil et d’adaptation culturelle, le crime, la drogue et la déviance. Dans l’ensemble, la représentation de l’Autre met l’accent sur la différence, la déviance, et la menace.
Le déni routinier, ou la sous-estimation du racisme, fait partie de la stratégie d’ensemble de présentation positive de soi, chez les élites en particulier. Les minorités ethniques n’ont pratiquement aucun accès ni aucun contrôle sur les discours tenus à leur propos, qui sont en général prononcés et écrits par des élites « blanches ». De plus, les discours tenus sur Eux ou sur les sujets « ethniques » en général ne leur sont généralement pas adressés : « Eux » ont tendance à être ignorés en tant que récepteurs potentiels des textes et discours publics.
C’est ainsi que, dans les débats parlementaires, les délibérations concernent presque toujours d’abord le problème de l’immigration « illégale », puis en viennent aux moyens de restreindre davantage l’immigration. Ces débats se caractérisent par mélange de représentation positive de soi (gloriole nationaliste, « notre longue tradition d’aide aux réfugiés », etc.) et, de façon systématique mais subtile, de présentation négative des nouveaux arrivants comme faisant problème ou grevant le budget, quand il ne constituent pas une menace pour notre système de sécurité sociale, nos emplois, ou la culture occidentale et ses valeurs. On formule alors des arguments spécieux selon lesquels il serait préférable pour « Eux » de ne pas être admis sur notre territoire, ceci afin qu’ils puissent contribuer au développement de leurs propres pays, ou bien être accueillis dans des régions plus proches de leur lieu d’origine, ou bien alors, comble du cynisme, afin de leur épargner le racisme rampant - des quartiers populaires (bien entendu) - dans nos pays. Et quelles que soient les entraves à l’immigration et les restrictions en droits et en libertés dont les immigrés sont victimes, de telles mesures sont toujours représentées comme « fermes, mais justes ».
Le sujet principal de préoccupation, ce sont les problèmes causés par les immigrés, mais pratiquement jamais les innombrables problèmes auxquels Eux sont confrontés, et dont Nous sommes la cause, allant des multiples formes de discrimination au harcèlement administratif des permis de séjour et autres problèmes bureaucratiques fastidieux.
La presse, qui à cause de son état de symbiose avec la politique nationale et les partis qui prescrivent la plupart de son contenu, suit presque toujours le mouvement, avec quelques minimes variantes reflétant le clivage entre centre gauche et extrême droite en politique - la vraie gauche ayant pratiquement été éliminée en Europe (à l’exception de pays pauvres comme le Portugal). Quel que soit le type d’événement à caractère ethnique, c’est toujours la personnalité politique, le maire, l’officier de police, le professeur ou tout autre « expert » - tous blancs en général - qui se trouve invitée, interviewée, et donc citée. Les groupes issus de minorités, leurs organisations et porte-parole, qui manquent en général de relais de presse auprès des officines de relations publiques, n’ont pas ce genre d’accès. Dans nos travaux sur le terrain, nous avons fréquemment observé que les communiqués des associations de minorités sont par définition soupçonnés d’être partisans (alors que les sources « blanches » sont tenues pour « objectives ») et qu’ils finissent généralement à la corbeille.
À côté des institutions politiques et médiatiques, les institutions d’enseignement sont les agents principaux de la reproduction des représentations sociales en général, et des stéréotypes et préjugés en particulier. Les manuels scolaires sont les véhicules par excellence du « savoir officiel », idéologie dominante du moment incluse. Les manuels sont également bien connus pour leurs bonnes dispositions à l’égard du pays, voire leur nationalisme flagrant : la geste nationale est magnifiée, et les fautes et les crimes édulcorés ou tout simplement omis. Ainsi, peu de livres de classe européens s’étendent sur les exactions esclavagistes et les atrocités coloniales.
Les manuels scolaires, en Europe et dans d’anciennes possessions européennes (Amériques, Australie, Nouvelle Zélande), représentent d’ailleurs les minorités dans la métropole de manière assez similaire à la représentation des peuples non-européens au niveau international. La dernière décennie a vu malgré tout une certaine amélioration de cet état de choses déplorable. Quelques pages des manuels sont désormais consacrées aux immigrés et aux minorités, et il y est fait quelques références au colonialisme, à la discrimination, ou même au racisme - mais jamais en des termes qui impliqueraient un système global de domination ethnique, omniprésent dans tous les domaines et à tous les niveaux de la société, et notamment parmi les élites.
En dépit de cette situation générale, l’enseignement et la recherche restent l’un des rares secteurs où des points de vue différents, ainsi que des principes et des orientations alternatives, peuvent se manifester. Grâce aussi à la pression exercée par un nombre croissant d’étudiants « étrangers » dans les salles de cours des villes européennes, un multiculturalisme modeste commence à s’épanouir, sur le papier tout du moins, dans les lois sur l’enseignement, les programmes et les manuels.



... A suivre
Chapitre suivant:
(6) La sortie du racisme


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01 octobre 2007

130 - Racisme Institutionnel - (4) En Europe

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Lundi 1er octobre 2007

Quatrième partie de l'article de Teun A. Van Dijk.

Chapitres précédents:
(1) Introduction
(2) Le racisme des élites
(3) L’analyse du discours raciste


En Europe



Nous nous intéressons avant tout ici au racisme « européen ». Non pas parce que les « Blancs » seraient nécessairement et intrinsèquement racistes, mais parce que le racisme européen a été le plus répandu et le plus destructeur à l’échelle du monde, et ceci pratiquement jusqu’à aujourd’hui. Il est devenu courant de décrire, d’expliquer, voire d’excuser le racisme actuel en Europe en faisant référence à l’augmentation massive du nombre d’immigrés non-européens - un genre d’explication qui s’apparenterait plutôt à une variante du « mettre la faute sur le dos des victimes ». Il y a au contraire de bonnes raisons de croire que cette immigration n’a fait que raviver et aggraver des sentiments racistes bien ancrés. Il y a tout d’abord maintes formes de racisme européen dont font les frais des minorités établies depuis longtemps et qui n’ont rien à voir avec une quelconque immigration, les cas les plus spectaculaires étant l’antisémitisme présent à peu près partout, ainsi que la discrimination dont souffrent les gens du voyage, les Roms et les Gitans.
Beaucoup d’Européens se sont également rendus coupables, pendant la période coloniale, de discriminations et d’exactions racistes dans leurs colonies, et il serait difficile d’attribuer un tel racisme à l’immigration de l’Autre, puisque c’étaient bel et bien les Européens qui étaient les immigrants, et qui de plus dominaient les « Autres » et les spoliaient de leurs biens et de leurs terres.
Tout au cours de leur histoire, les élites européennes ont produit des écrits à caractère raciste sur les « Autres » non-européens, même quand ceux-ci n’immigraient pas en Europe.
Et il est avéré finalement qu’en Europe ce sont précisément les élites qui ont entretenu le moins de contacts au quotidien avec les immigrants. Ceci vaut d’ailleurs aussi pour le « racisme populaire », qui n’est justement pas le plus prononcé dans les quartiers pauvres à forte population immigrée, mais là où, dans les quartiers chics aussi bien que populaires, les habitants craignent un afflux possible d’« étrangers ».
En d’autres termes, le racisme contemporain en Europe n’a rien de nouveau, il s’inscrit dans une longue tradition. Il n’est pas causé par l’immigration, mais bien par le portrait systématiquement négatif fait de « l’Autre » dans ses représentations sociales à travers les âges. Il suffit de lire les écrits politiques, les journaux, les textes savants, les arts et la littérature, tout ce qui a été écrit au moins jusqu’à la deuxième guerre mondiale, pour voir à quel point les préjugés racistes à l’égard des Africains, des Asiatiques et des Amérindiens étaient répandus et flagrants. Ces pratiques et idéologies n’avaient rien d’exceptionnelles, elles constituaient la norme officielle.
Certains pays - tels le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France - légifèrent aujourd’hui contre le racisme et l’antisémitisme, tout en limitant sévèrement l’immigration, en tolérant l’existence de partis politiques ouvertement racistes, et en évitant soigneusement toute mesure énergique contre les multiples formes du racisme quotidien, tant dans les institutions que dans la sphère publique. En Italie, en Autriche, au Danemark et aux Pays-Bas, des partis peu ou prou racistes peuvent atteindre un score électoral qui frise les 30% et même devenir des partenaires des coalitions gouvernementales au pouvoir.
Des faits de cette nature commencent par être officiellement condamnés et critiqués sur la base de la norme antiraciste en vigueur, comme on l’a vu avec Haider en Autriche. Mais les principes libéraux ou le réalisme politique ne tardent jamais à reprendre le dessus, et l’on « fait avec » les partis racistes comme faisant partie du « consensus démocratique », comme s’il s’agissait d’une opinion politique possible parmi d’autres : tel est le cas en Italie, au Danemark et en France. Mais ce qui est encore plus grave, c’est que ce qui constituait le fonds de commerce des partis racistes d’il y a dix ou vingt ans fait maintenant partie des idées et politiques généralement admises et partagées par les partis traditionnels quand il est question de limiter l’immigration et de restreindre les droits fondamentaux des réfugiés, immigrés et autres minoritaires. Des pays traditionnellement « tolérants » comme les Pays-Bas ou les pays Scandinaves sont ainsi devenus des foyers de xénophobie rampante, d’anti-islamisme et de racisme pur et simple. Mais d’autre part, nous pouvons témoigner d’un multiculturalisme en marche dans les écoles, les quartiers, les ONG et beaucoup d’autres domaines de la société civile, et d’une opposition croissante aux pratiques des gouvernements en place.
Alors que la politique en Europe a plutôt versé vers la droite, en adoptant une ligne anti-immigration, les médias ont joué eux aussi un rôle ambivalent, et cela particulièrement après les attaques terroristes meurtrières perpétrées par des islamistes radicaux, en permettant et en attisant la légitimation de sentiments anti-immigration et anti-islam dans leurs pays. En fait, et à de rares exceptions près, les grands médias européens ne se sont guère opposés à la progression du racisme et de la xénophobie dans la politique et l’opinion publique européennes. Bien au contraire, comme on l’a vu à l’occasion du phénomène politique Fortuyn en Hollande, la presse et de nombreuses autres parties de l’élite se sont donné beaucoup de mal pour essayer de convaincre qu’une position anti-immigration et anti-islam ne saurait être considérée comme une forme de racisme. Plus crûment, il semblerait qu’une fois la xénophobie répandue comme une forme de bon sens généralisé avec lequel « nous » sommes tous d’accord, il ne pourrait plus être question de la considérer comme « racisme ».
Finalement, la norme antiraciste paraît même sur le déclin lorsqu’on voit un nombre croissant d’Européens se définir ouvertement comme « racistes » - dans les enquêtes menées par la firme «Eurobarometer» - dès que ce vocable correspond à l’« hostilité envers l’immigration » et les immigrés « profiteurs ». Il n’est alors pas surprenant que beaucoup d’électeurs, même ceux qui ne sont pas en contact quotidien avec des immigrés, votent pour des partis ouvertement favorables au freinage ou à l’arrêt de l’immigration. Cela veut dire que les gens ont bien assimilé le discours des élites et qu’ils soutiennent les personnalités politiques qui ont montré le mauvais exemple. Le racisme des élites se voit alors légitimé par celui des couches populaires, et ceci permet l’adoption de politiques ouvertement populistes visant à maintenir le pouvoir en place, et cela ne concerne pas que la droite de l’échiquier politique.




... A suivre
Chapitres suivants:
(5) La structure du discours raciste
(6) La sortie du racisme

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