129 - Racisme Institutionnel - (3) L’analyse du discours raciste
Vendredi 28 septembre 2007
Troisième partie de l'article de Teun A. Van Dijk.
Chapitres précédents:
(1) Introduction
(2) Le racisme des élites
L’analyse du discours raciste
La plupart des études consacrées au racisme se focalisent sur la discrimination et l’exclusion, ou bien sur les préjugés et l’idéologie, mais ils ont tendance à ignorer le rôle fondamental joué par le langage dans la reproduction du racisme. Le débat et les mesures politiques, quel que soit leur objet, s’engagent sous forme d’écrits et de paroles, depuis les lois et la réglementation, les débats parlementaires, les délibérations du gouvernement et jusqu’aux programmes et à la propagande des partis. Les médias eux aussi opèrent de façon largement discursive, et cela inclut les images, les films et le multimédia. Cela vaut également pour la police et la justice, l’éducation et la recherche scientifique. Cela signifie que les élites symboliques sont d’abord des élites discursives. Elles exercent leur pouvoir par le verbe. Comment le racisme pourrait-il exister sans l’écrit et la parole ? Comment pourrait-on acquérir autrement les préjugés et les stéréotypes sur « les étrangers », alors que ces sentiments procèdent rarement de l’observation quotidienne et du commerce rapproché avec ceux-ci ? Et comment serait-il possible de partager en groupe ces certitudes qui engendrent la discrimination et l’exclusion ?
Il est donc essentiel d’étudier le racisme, et plus particulièrement le racisme des élites - mais également l’antiracisme - à partir d’une analyse détaillée de leurs pratiques discursives et de celles de leurs institutions. Une analyse fine s’impose d’autant plus que bien des manifestations du racisme des élites prennent une forme indirecte et subtile, comme c’est d’ailleurs le cas avec le sexisme. Il est donc nécessaire de procéder à une analyse du discours rigoureuse afin de montrer en quoi certaines pratiques institutionnelles relèvent de convictions racistes sous-jacentes, et pour comprendre pourquoi le discours raciste des élites peut avoir des effets particulièrement délétères sur l’opinion publique.
On a heureusement vu depuis vingt ans une forte poussée de l’analyse du discours en tant que discipline (scientifique) dans les lettres et les sciences sociales, et ce non seulement comme « méthode » pour mener une analyse plus approfondie des données à caractère discursif, mais également en tant que discipline « transversale » indépendante des discourse studies (voir à ce sujet Schiffrin, Tannen & Hamilton, 2001 ; van Dijk, 1997). Dans le cas de la linguistique, cela a permis par exemple que nous en sachions beaucoup plus sur l’usage du langage que la simple analyse des mots et des phrases en termes de grammaire, et que nous portions attention à un grand nombre de structures et de stratégies qui ont rapport avec l’écrit et la parole, tels que le degré de cohérence, la teneur générale des sujets traités, les formes schématiques, la structure argumentative et narrative, le style, la rhétorique, les actes de parole ou les stratégies de conversation. En psychologie, nous comprenons beaucoup mieux comment opèrent les processus cognitifs menant à la production et l’appréhension du discours, comment le discours est mémorisé et comment il nous informe. Dans les sciences sociales, l’intérêt pour les formes naturelles du discours et les événements communicatifs a conduit à un large mouvement d’analyses ethnographiques des formes et des conditions dans lesquelles l’écrit et l’oral opèrent dans l’interaction sociale et à l’extérieur des communautés. Les débats parlementaires, l’information, les échanges en classe et au tribunal, les manuels scolaires, les publications scientifiques, les conversations quotidiennes ont eux aussi fait l’objet d’études détaillées.
Ces développements de l’étude du discours permettent également une approche plus sophistiquée de l’analyse des pratiques racistes, et en particulier de celles des élites symboliques. Nous sommes maintenant à même d’étudier les changements subtils d’intonation ou de volume dans la parole, ainsi que les variations de syntaxe, les choix lexicaux, la sélection des sujets, les stratégies narratives, argumentatives et rhétoriques, tout cela afin de mettre à nu les préjugés sous-jacents des usagers du langage et des institutions qu’ils représentent. Et par delà de telles études du discours, nous sommes maintenant à même d’évaluer les effets de ces discours dans la sphère publique, parce que nous commençons à savoir comment ces discours sont reçus et compris, et comment les gens se forment des modèles mentaux et des représentations sociales partagés sur « les autres », comment se forment les préjugés et les idéologies.
... A suivre
Chapitres suivants:
(4) En Europe
(5) La structure du discours raciste
(6) La sortie du racisme
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